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Le 19 mars 2024
Dans cette région viticole, la?bio est portée par le raisin et?une tradition arboricole remontant à l’Antiquité. L’olivier est de tous les paysages et à côté de lui des?fruits plus inattendus auxquels elle offre de belles opportunités.
Marie-Pierre Chavel
Sur la Via Domitia, construite au Ier?siècle avant Jésus-Christ pour relier l’Italie à l’Espagne, Nîmes conserve de nombreux témoignages de sa?période gallo-romaine?: les?arènes, la?Maison?carrée (un temple) ou encore, à 20?kilomètres environ, le pont du Gard aux?11?millions de blocs de pierre dominant la?garrigue. Les?Romains ont aussi légué la vigne et l’olivier, qui aujourd’hui composent des paysages variés dans un large périmètre autour de la ville, de?la?vallée du Rhône aux Cévennes, de la vallée de la Cèze à la Camargue. Ils ont en?commun de savoir s’épanouir dans un sol pauvre sous un climat chaud et sec. De bons atouts pour la bio, particulièrement développée dans le département, avec plus d’un tiers des?surfaces agricoles et un tiers des fermes certifiées. La viticulture, suivie de l’arboriculture, est la?culture la plus représentée. Toutes productions confondues, entre 2016 et 2022, le?nombre d’exploitations bio a doublé, et, même si elle ralentit, la progression se poursuit, selon?Juliette Bellay de la FD Civam du Gard. Ça?mérite une?couronne de laurier* !
«?99?% de nos vins sont produits à 70?kilomètres maximum. Comme nous, nos clients sont très attachés au local?», assure Christophe?Leclercq lors de notre visite dans son magasin Biocoop à?Marguerittes, en périphérie de Nîmes. Un?attachement qui explique le succès du bio. Pour Juliette?Bellay, il est aussi dû à?l’engagement des?producteurs pionniers ainsi qu’aux soutiens politiques et?financiers apportés aux filières. Absque argento omnia vana, auraient pu dire les?Romains (sans argent, tout effort est vain).
Le magasin Biocoop Marguerittes réalise 20?% de son chiffre d’affaires localement, contre 15?% en moyenne dans les autres magasins du?réseau. Souriants et chaleureux, Christophe et Eugénie?Leclercq aiment être au contact de leur équipe, de la clientèle et de leurs 130?producteurs locaux. «?On se parle souvent. Ils ont tous des histoires incroyables. On ne prend pas tout chez les?mêmes, on les soutient?», confie Eugénie. Le?magasin, par exemple, n’hésite pas à?prendre le surplus d’un maraîcher même si?ce?n’était pas prévu.
Le maraîchage bio gardois est dynamique, avec 300?fermes. «?Des petites structures diversifiées en circuit court et des grandes surfaces spécialisées pour le circuit long?», liste?Juliette?Bellay. Une chance pour le?département dont la tradition maraîchère s’était émoussée. Pierre?Forestier, du domaine Brunel-Forestier (vigne et oliviers), se souvient de?la?région comme d’un «?grand jardin?», avec?beaucoup de légumes, jusqu’à ce que les?marchandises espagnoles viennent concurrencer les françaises dans les années 1970-1980. «?Les jeunes n’ont pas voulu reprendre les exploitations des parents?», avance-t-il. Ce qui aurait profité au développement de la vigne et de l’olivier.
On remarque dans ce département peu porté sur l’élevage beaucoup de fermes en?polyculture, pour ne pas mettre tous leurs?œufs dans le?même panier. Comme Thomas?Saleilles (35?hectares en vigne à Bagnols-sur-Cèze) qui doit faire face à la crise viticole (prix instable du vin, baisse des ventes, changement climatique, etc.). Son alternative : la grenade, fruit exotique pour la plupart des Français?; mais qu’on trouve dans les vieux jardins provençaux. Encore un?apport des Romains. Sa?culture a été relancée en 2007. Lui s’y est mis juste après, permettant à?Biocoop d’avoir un jus de grenade français. Une rareté !
Les Forestier ont dû réduire leur surface de?vigne. Il leur reste 1,3?hectares de raisin de table et?heureusement 1,5?hectares d’oliviers. Les deux vont bien ensemble, la récolte des olives démarrant bien après les vendanges. Si l’olive verte est la?plus courante dans la région, eux préfèrent la?noire, c’est-à-dire mûre, pour en?tirer une?huile plus parfumée, moins astringente, vendue principalement à?six?magasins Biocoop du?coin. «?L’olivier, dit?Pierre, c’est l’arbre de la?durée?», qui?entre en pleine production au bout de?dix?ans et résiste aux aléas climatiques. Il cite ceux qui?ont gelé en 1956 mais qui produisent toujours, et les racines des vieux arbres qui vont puiser l’eau loin dans?le sol?: une épaisse couche de galets roulés, polis par le Rhône, qui permet à?la?pluie de bien s’infiltrer.
À Castillon-du-Gard, Nancy?Crivellaro, associée à son père et à son frère, a voulu apporter une?touche personnelle et innovante à l’exploitation viticole familiale : la?baie de?goji, un?« super fruit » originaire de?Chine. De?la?famille des solanacées, l’arbuste donne dès?la?première année, avec un pic en?juillet et?un?autre en septembre si?la?météo le permet. Depuis 2017, sur 2,5?hectares, la?trentenaire cultive une?variété française, sucrée et moelleuse une?fois séchée. «?Les?antioxydants, c’est bien, mais il faut aussi que ce soit bon?», dit-elle. Exit la?baie de goji chinoise, Biocoop Marguerittes ne vend que «?L’or rouge du pont du Gard?» de?Nancy?Crivellaro qui, passionnée d’agriculture, s’intéresse aussi au pistachier, un?arbre hérité des Romains, résistant à la?sécheresse. Autant dire qu’il a de l’avenir !
* Symbole de triomphe de la Grèce antique repris par les?Romains.
En octobre, du côté de?Bagnols-sur-Cèze, le?paysage de vignes encore vertes se teinte par?endroits de rouge. Ce?sont les grenades arrivées à?maturité de?Thomas?Saleilles. En?plantant quelques grenadiers sur une?parcelle, il y a presque quinze?ans, le?viticulteur ne pensait pas devenir acteur de?la?relocalisation de ce fruit oublié ni de la marque Biocoop. «?J’en?ai maintenant 14?hectares, environ 7?000?arbres, en plus des vignes. C’est une culture facile en bio, qui ne nécessite pas de traitement car elle n’a pas de maladies, d’insectes. Elle demande peu de?taille et supporte mieux la sécheresse que la?vigne. Comme je ne?trouvais pas de?plants, je?suis devenu pépiniériste. J’ai un verger expérimental avec?70 variétés. Cinq ou six?sont bien adaptées au Gard. Surtout la Provence, une?variété française. Le?soleil et le frottement des branches marquent facilement les fruits.
Alors la transformation en jus s’est imposée. Ceux du?commerce viennent de?Turquie, d’Iran, etc. Ils?tirent sur le?marron. Notre jus est?très rouge, plus doux : on ne presse que les arilles, les?graines, sans la?peau. Depuis 2019, je?suis adhérent du groupement Uni-Vert, sociétaire de?Biocoop. C’est un appui solide pour se?développer. Biocoop est la première marque à?avoir proposé un jus de?grenade français. C’est?un réel soutien pour la filière.?»
À Blauzac, le domaine de Malaïgue, 30?hectares de?vignes en bio depuis?1998, a comme suspendu le temps avec?sa cave du?XIIe siècle et?ses?cuves de?300?ans. Huit?générations de?viticulteurs s’y sont déjà succédé, avec une?préoccupation : respecter le vivant. Aujourd’hui, François?Reboul ne travaille plus les sols. Il?laisse à d’autres végétaux le soin de?les?nourrir et les protéger?: «?À l’automne, on sème entre les rangs crucifères, graminées et?légumineuses, qui apportent de l’azote. Au?printemps, on les?couche, ça protège de?l’érosion et retient l’humidité.?» Face au?réchauffement climatique, il fait avec et?non contre la nature, qu’il?refuse de contrôler. «?Irriguer?? On devrait se?battre pour ne pas avoir à le faire, la vigne est une?liane qui pousse sans?eau?», assène-t-il. Il?préférerait, s’il avait du?temps, créer une?pépinière collective pour adapter les cépages et porte-greffes. Il?pratique les vendanges manuelles pour ne pas stresser la?vigne, pour créer de?l’emploi et animer le?territoire, regrettant que?les vendanges mécaniques, la norme ici, n’amènent personne dans les?vignes. «?Le social, c’est primordial?», dit-il. À la cave, Florian?Gouin apporte lui?aussi soin et?exigence à ses vins, labellisés Nature et?Progrès, vendus principalement localement, notamment chez Biocoop. Des rosés, des blancs, des rouges, en AOC Duché d’Uzès, en IGP Cévennes ou en assemblages créatifs, tant que possible sans sulfites et sans filtration pour ne pas «?aseptiser les vins?».
« Le premier mot de notre petit-fils a été tracteur ! » Pas peu fiers les grands-parents qui rêvent de transmettre leur domaine dans la famille. Pierre et Christine Forestier ont repris les 18 hectares de leur père respectif en 1995, surtout de la vigne et un peu d’olivier. En 1999, ils passent en bio. « On était les seuls. La coopérative nous a demandé de repasser en conventionnel parce qu’on perturbait son fonctionnement ! » Ils ont préféré créer leur cave, en 2003. Le premier client ? Le magasin Biocoop l’Aile du Papillon au Crès (Hérault). Beaucoup d’autres, jusqu’à Paris, suivront. « Biocoop nous a permis de nous lancer », disent-ils, reconnaissants. Depuis quelques années, Pierre ayant dû arrêter les vignes pour raison de santé, ils se sont recentrés sur l’olivier, « un arbre rustique, agréable à travailler ». Un peu de fumier de cheval mais pas tous les ans, un peu de taille si besoin... La récolte manuelle se fait l’hiver. Parce ce qu’ils ne produisent que de l’olive noire. Pas la plus facile ! « Les vertes se ramassent plus tôt, quand les journées sont encore longues et moins froides. » Mais la noire donne une huile plus douce avec une belle couleur jaune et un petit goût d’artichaud en fin de bouche. « On pourrait avoir l’appellation Huile d’olive de Nîmes, précise Christine. Mais ça augmenterait son coût. L’important est qu’elle soit bio et accessible. » Les magasins Biocoop du coin restent leurs principaux clients.